Octobre 2023
L'intestin est le principal organe de digestion et d'absorption des nutriments et de l'immunité des muqueuses. Mais pas seulement, comme le rappelle une revue chinoise publiée en 2022. De récentes études ont en effet mis en évidence des récepteurs du sucré, de l’amer et de l’umami au niveau de l'intestin. Activés par certains nutriments, ces récepteurs gustatifs sont capables de réguler l'appétit, le poids corporel et de maintenir l'homéostasie générale de l’organisme, y compris glycémique, via la sécrétion d'hormones et la régulation du microbiote intestinal. D’éventuels récepteurs intestinaux des saveurs acide et salée n’ont pas (encore ?) été découverts.
Différents types de récepteurs intestinaux
Dans cette étude, différents types de récepteurs gustatifs intestinaux ont été identifiés. A commencer par les récepteurs gustatifs couplés aux protéines G (RCPG), divisés en deux familles : les récepteurs gustatifs de type 1, les T1R, complexes constitués de 2 dimères présents dans la cavité buccale comme dans l’intestin (ces derniers peuvent notamment distinguer les sucres des édulcorants) spécialisés dans la détection des stimuli sucrés et l'umami ; et la famille des récepteurs gustatifs de type 2 (T2R) pour les stimuli amers.
Le symporteur sodium-glucose 1 (SGLT1) joue également le rôle de récepteur des molécules responsables de la saveur sucrée dans le tube digestif : les sucres et édulcorants augmentent son expression et la capacité d'absorption du glucose par les cellules épithéliales intestinales chez la souris.
Des récepteurs dans les cellules entéro-endocrines
Les fonctions complexes de différentes cellules endocrines intestinales reposent sur ces récepteurs gustatifs intestinaux. Des récepteurs sucrés T1R2/T1R sont par exemple présents au niveau des cellules entéro-endocrines L, qui peuvent sécréter du GLP-1 (Glucagon-like peptide-1), GIP (Glucose-dependent insulinotropic polypeptide) et de l’insuline après une ingestion de glucose. De la même manière, des récepteurs du sucré (T1R2 et T1R3), de l’umami (T1R2 et mGluR4) et de l’amer (T2R1) ont été détectés à la surface des cellules entérochromaffines [1] et sont capables de moduler la sécrétion de sérotonine par celles-ci (nausées, motilité intestinale). Des récepteurs du sucré et de l'umami (T1R3) sont par ailleurs exprimés à la surface des cellules entéro-endocrines P, principalement au niveau des glandes gastriques et duodénales, ce qui suggère que ces cellules P pourraient identifier des informations dans le tube digestif.
En fonction des récepteurs présents et des molécules détectées, diverses molécules de signalisation sont produites, capables d’induire la dépolarisation de la membrane cellulaire, aboutissant in fine à des réponses physiologiques. Par exemple (Figure 1), la liaison du saccharose aux récepteurs T1R1/T1R3 aboutit, après une cascade de réactions, à une dépolarisation de la membrane et la libération d’un neurotransmetteur. Ainsi, les cellules réceptrices du goût convertissent les signaux chimiques en signaux électriques, puis les transmettent au système nerveux, qui enverra un signal retour au système intestinal afin de réguler la digestion et l'absorption des nutriments.
Figure 1 : Schématisation du fonctionnement des récepteurs aux saveurs des cellules entéro-endocrines
Les peptides cerveau-intestin
De plus, via l’activation des récepteurs gustatifs intestinaux, le système endocrinien intestinal des mammifères sécrète des peptides ‘cerveau-intestin’ capables d’être reconnus par le nerf vague ou les fibres spinales (de la moelle épinière), et ainsi de réguler l'appétit, le comportement alimentaire et le métabolisme des nutriments. Par exemple (Figure 2), en cas de présence élevée de glucose dans la lumière intestinale, le récepteur sucré intestinal T1R2/T1R3 active l'expression de SGLT1 et GLUT2, ce qui favorise simultanément le transport du glucose et la sécrétion de peptides ‘cerveau-intestin’. Ainsi, les récepteurs agissent en synergie sur la réponse intestinale au glucose et participent au maintien de l'homéostasie du glucose dans l'organisme.
Ces peptides participeraient également à la médiation des fonctions physiologiques de l'intestin par l'intermédiaire de l'axe cerveau-intestin, y compris le réflexe musculaire intestinal, l'immunité intestinale, la perméabilité intestinale, ainsi que la régulation endocrinienne intestinale. Ils représentent des cibles prometteuses pour des thérapies non invasives visant à réguler la prise alimentaire. Néanmoins, la complexité des mécanismes (par exemple, l'expression des récepteurs gustatifs diffère d'un bout à l'autre de l'intestin), les différences entre les modèles murins et humains (le nombre et la sélectivité des récepteurs gustatifs varient), etc. représentent encore de nombreux obstacles à franchir.
Figure 4 : Schématisation du fonctionnement des récepteurs intestinaux au glucose
[1] Cellules de la paroi intestinale qui agissent comme des chimiocapteurs et communiquent au cerveau des informations sur l’environnement, le métabolisme ou l’homéostasie de l’intestin via la sécrétion de sérotonine au niveau de connexions synaptiques (voir Bellono NM et al., 2017)
Financement : RAS
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